Je suis fascinée par le changement. Que je le provoque, le subisse, le vive au travail, avec mes proches, ou encore que je le contemple dans la nature au fil des saisons. Ce sont autant de variations qui créent sans cesse de la nouveauté. C’est une bonne part de ce qui alimente mon énergie de vie. Et pourtant, dans de nombreuses situations, j’ai constaté combien il est difficile de changer. On se plaint dans le monde du travail de l’immobilisme, des routines et rigidités des organisations. C’est devenu un lieu commun partagé par ceux qui se disent plus entreprenants ou plus malins que les autres. Ils voient dans les difficultés à changer des résistances qui sont autant d’obstacles qu’il faudrait à tout prix dépasser. La formation, le coaching, le développement personnel apparaissent parfois comme des antidotes, sous forme de solution miracle : « Ça ne marche pas, eh bien, je vais refondre l’organigramme ! ». « Je ne m’épanouis dans mon travail… eh bien je vais en trouver un autre! »  Finalement, il est bien difficile de savoir si on veut changer ou pas. Également de savoir quoi changer. Et plus encore si on va y gagner.

 

Dans l’esprit de « Bifurquez », je prends le contre pied en ne vous parlant pas des bonnes raisons que l’on a à changer, mais plutôt de ce qui explique la difficulté à changer. J’en tiens toujours compte pour moi-même et pour tous ceux que j’accompagne sur ce chemin.

 

Tout d’abord, changer met en jeu une part de notre identité. C’est une transformation de soi qui touche à nos relations aux autres. En systémie, on parle d’homéostasie pour désigner la propriété d’un système à se maintenir dans son état d’équilibre. Dans un collectif de travail, il y a des valeurs, des habitudes, des solidarités qui sont si fortes, si durables qu’elles façonnent son identité et contribuent ainsi à le maintenir en vie. A chaque fois que je suis arrivée dans un nouveau poste, j’ai questionné les pratiques : « pourquoi fait-on comme ça ? », « qu’est-ce qui nous a amené là ?». J’ai beaucoup entendu en retour : « parce qu’on a toujours fait comme ça ». Ces réponses reflètent un repli pour maintenir l’homéostasie du système. De fait, la pérennité de repères stables soutient l’identité de l’organisation. La difficulté du processus de changement est de savoir ce qu’il faut conserver ou abandonner dans les valeurs, pratiques, comportements identitaires.

 

La deuxième raison de la difficulté à changer : c’est que nous jugulons notre peur de l’inconnu en idéalisant l’avenir. Nous sommes des êtres de projet, disait Sartre. Exister, c’est être en projet, agir dans l’intentionnalité d’un but. Nous n’agissons jamais à l’aveugle, dans l’incertitude absolue. Un désir nous porte. Il peut être illusoire car nous imaginons le changement en nous raccrochant à ce qu’on connaît déjà : le passé -le fameux « c’était mieux avant » – ou l’ailleurs -selon l’adage « l’herbe est plus verte ailleurs »-. Dans mon parcours, j’ai remarqué que les personnes qui avaient le plus de mal à changer étaient paradoxalement celles qui aspiraient le plus au changement. Me vient l’exemple de profils ayant connu peu de mobilité professionnelle, disposant donc de peu de références concrètes pour comparer l’existant et l’idéal. Elles en venaient à avoir des attentes tellement élevées qu’elles se condamnaient elles-mêmes à la frustration face au réel. Pour rester ouvert et vivre l’incertitude sereinement, j’aime pratiquer la « technique de l’alpiniste » qui fait partie de la méthode de Problem Solving de l’approche systémique stratégique de Palo Alto : on franchit les cols les uns après les autres avant d’atteindre le sommet de la montagne. Le changement n’apparaît pas d’un coup de baguette magique, mais il se gagne progressivement, par expérimentation de petits objectifs, atteints par une série d’essais et erreurs. Il suffit d’oser construire un projet clair et pragmatique, puis de le déployer en une multitude de petites actions, certaines réussies, d’autres non.

 

Troisième raison de la difficulté à changer : le changement ne se produit pas par pur volontarisme… le fameux « y’a qu’a, faut qu’on ». On peut vouloir changer sans y arriver. Les neurosciences ont bien identifié la bascule cognitive toujours délicate entre, d’une part, nos habitudes et les tâches automatisées par notre cerveau, et, d’autre part, l’activité créatrice qui suppose des apprentissages nouveaux. On sait tous qu’il ne suffit pas qu’un fumeur connaisse les méfaits du tabac pour arrêter de fumer et c’est même une minorité qui arrête pour ces seules raisons. Thalmann parle de « biais cognitif » lorsqu’un comportement et un savoir sont en contradiction. Notre psychisme éprouve une tension, un inconfort qu’il va chercher à réduire. Et il le fait souvent par des résistances. Alors, ce sont les émotions, les habitudes, les comportements ancrés dans notre corps et non conscientisés qui prennent le dessus. Ce que je retiens de ceci, ce que j’ai pu observer dans toutes les situations de changement que j’ai vécu, initié, accompagné, c’est qu’il est indispensable de travailler les émotions, les habitudes, les comportements non-conscientisés pour permettre la bascule.