Faire de la philosophie pratique, c’est utiliser des distinctions conceptuelles pour mieux comprendre les enjeux du management. Je vais ici vous en donner un exemple, qui m’est venu suite à divers expériences d’accompagnement des projets de changements organisationnels.
En philo, on travaille à différencier les mots. On se demandera ainsi quelle est la différence entre un outil et un instrument. Oui, très bien… Mais quel rapport avec le changement organisationnel, me direz-vous ?
Eh bien, le rapport, c’est la manière dont un dirigeant aborde le changement organisationnel. Soit il pense que le principal levier de transformation, c’est l’organigramme. Dans ce cas, il voit celui-ci comme un outil. Pour Aristote, l’outil (organon), c’est un moyen en vue d’une fin. Quand je prends un marteau pour planter un clou, le marteau ne compte que par le résultat qu’il permet d’atteindre. Sa valeur tient seulement dans son utilité. Si on fait le parallèle avec l’organigramme, on dira que celui-ci est un moyen au service du changement. Il amènera chaque acteur à endosser un rôle inédit, à occuper une nouvelle place, à accomplir des activités différentes. Dans ce cas, les dirigeants auront une approche qu’on qualifiera de gestionnaire, voire d’utilitaire de l’organigramme. Pur moyen d’organiser les ressources et les compétences, il n’a de valeur qu’au service d’un projet défini préalablement. Le schéma est classique : on construit une fin (un objectif visé, une intention) qui s’incarne souvent en un projet d’établissement ou de service. Ensuite, on rassemble et on organise les moyens pour le réaliser (ex. Une GPEC : Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences, une refonte des fiches de poste, etc.). L’avantage : on donne du sens, on met de la cohérence dans l’organisation. Le risque : on peut trop attendre de l’organigramme, y voir un couteau suisse qui, bien utilisé, suffirait à faire fonctionner l’organisation.


Autre chemin : concevoir l’organigramme comme un instrument. Oubliez le marteau qui vous casse les oreilles ! Pensez plutôt à l’instrument de musique. Considérez le musicien qui fait corps avec sa guitare, sa flûte, son piano. Ce n’est pas l’objet qui produit tout seul de la musique, il le fait seulement lorsqu’il est mis en mouvement par le corps d’un être humain. C’est le musicien qui le rend vivant. Qu’est-ce que ça serait que de voir l’organigramme comme un instrument ? Cela demanderait au dirigeant de ne jamais le considérer comme l’aboutissement du processus de changement. A chaque instant de sa mise en œuvre, il faut jouer de l’organigramme. Il est l’instrument qui permet d’interpréter la partition. Et si on est bon musicien, on ne se contente pas de lire la partition, mais on y met son style, sa touche personnelle. Que nous dit cette image ? Que le dirigeant gagne à écouter les résonances de l’organigramme quand il est « joué » : être attentif à ce qui sonne juste, aux couacs, aux silences,… bref, accompagner la manière dont chacun des acteurs joue de cet instrument. Avantage : l’organigramme n’est qu’un levier du changement organisationnel. Il ne dispense pas les acteurs d’être inventifs, agiles, et même parfois iconoclastes lorsqu’ils doivent improviser ! Rien de pire qu’un organigramme sacralisé, où chacun doit rentrer dans une boîte mal taillée. Inconvénient : on n’en a jamais fini de mettre l’organigramme sur le métier, il faudra toujours rester en veille, le faire bouger. Cela limite le temps d’appropriation nécessaire pour les équipes qui en finissent par ne plus savoir qui fait quoi.
En résumé, il ne s’agit d’opposer les deux. Pas non plus de dresser les bricoleurs contre les musiciens ! Les deux approches sont importantes. Il suffit juste de les avoir en tête pour ne pas confondre changement organisationnel et changement d’organigramme.